MÉMOIRE DE LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PÉDIATRIE

Apprentissage et soin de la petite enfance

D’après des données probantes solides et croissantes, un investissement public dans des programmes de développement de la petite enfance de qualité procurent des bienfaits démontrés non seulement aux enfants et aux familles, mais également aux gouvernements et aux économies nationales.

De nombreuses évaluations canadiennes et internationales[i] confirment que des services d’apprentissage et de soins de la petite enfance de qualité améliorent le développement cognitif et social des enfants qui, plus tard, réussissent mieux à l’école[ii], touchent un revenu plus élevé, sont en meilleure santé, affichent un taux moins élevé de grossesse à l’adolescence, dépendent moins de l’aide sociale et risquent moins d’adopter une conduite criminelle. Il n’est peut-être pas surprenant de constater que ce sont les enfants qui vivent dans la pauvreté qui en profitent le plus[iii]. Le rapport coût-avantage estimé va de 3 à 18 dollars pour chaque dollar consacré à de tels services[iv].

Développement de la petite enfance au Canada

En 2008, le Canada était classé au dernier rang par une évaluation des services à la petite enfance parmi 25 pays économiquement avancés – loin derrière des pays comme la Slovénie et le Mexique. L’évaluation était fondée sur de l’information fournie par les pays. Sur 10 critères relatifs aux normes minimales de protection des droits de l’enfant au cours de ses années les plus vulnérables et les plus formatives, le Canada n’en a respecté qu’un – pour le niveau de 80 % de la formation des préposés aux soins à l’enfance – à  l’instar de la majorité des 24 autres pays. L’UNICEF recommande qu’un pour cent du PIB soit consacré aux soins et à l’éducation de la petite enfance. Le Canada y consacre 0,2 %, soit le cinquième de la proportion recommandée[v].

Environ 70 % des mères canadiennes travaillent à l’extérieur, en grande majorité par nécessité financière; leurs revenus sont essentiels au paiement des dépenses du ménage. Il a été démontré que la disponibilité de services de soins à l’enfance fiables, abordables et de qualité permet aux parents de participer plus facilement et avec plus de régularité à la population active et de contribuer à la croissance économique. Pour répondre à cette demande, les provinces et les territoires offrent tous des programmes de services à la petite enfance et plusieurs gouvernements mettent en place des pratiques pour les améliorer; pour le moment, les normes, l’accessibilité et la qualité des services varient considérablement d’un bout à l’autre du pays.

La doléance le plus souvent formulée par les parents concerne probablement la difficulté de trouver des soins de qualité pour leurs enfants; les gouvernements n’offrent pas suffisamment de places autorisées de sorte que des familles figurent sur des listes d’attente pendant des mois. Les enfants qui n’ont pas la chance d’être acceptés sont placés dans des garderies non enregistrées, où ils reçoivent parfois des soins de qualité inférieure[vi]. Malgré les efforts déployés par certains gouvernements, les parents des régions rurales ou éloignées ou qui ont des enfants présentant des besoins spéciaux font souvent face à une perspective encore plus sombre[vii].

En ce qui concerne les coûts, à l’exception de la province de Québec, la garde d’enfants  représente l’un des principaux postes de dépense des parents canadiens – rivalisant d’importance avec le loyer, le remboursement hypothécaire et l’automobile. Nous saluons la Prestation universelle pour la garde d’enfants, qui verse aux familles un paiement mensuel imposable de 100 dollars pour chaque enfant au titre de la garde d’enfants; toutefois, il faudra que ce montant soit bonifié pour aider véritablement les parents qui travaillent et gagnent un revenu modeste et pour ceux qui souhaitent intégrer le marché du travail.

La méthode européenne

La plupart des pays d’Europe offrent l’accès gratuit à des services publics d’éducation à la petite enfance pour tous les enfants de 3 à 6 ans, jusqu’au début de l’école primaire, souvent dans le cadre de programmes reliés à des écoles; cela est considéré comme un droit prévu par la loi à compter de 3 ans. Beaucoup de pays européens et la Nouvelle-Zélande atteignent déjà l’objectif de l’Union européenne d’offrir des places subventionnées de journées complètes au tiers des enfants de 0 à 3 ans et à plus de 90 % des enfants de 3 à 6 ans mais à des qualités variables[viii].

Quelle voie devrions-nous emprunter?

De toute évidence, les régimes en place ne répondent pas adéquatement aux besoins du public canadien. Dans son rapport d’avril 2009 intitulé Éducation et garde des jeunes enfants : Prochaines étapes, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie souligne que, malgré l’existence de bons programmes fédéraux et provinciaux, dont le Programme d’aide préscolaire aux Autochtones et le Programme canadien de nutrition prénatale, on déplore de nombreuses lacunes dans notre système; par exemple, le Crédit d’impôt pour enfants ne profite pas aux familles à faible revenu, surtout celles qui ont des enfants ayant des besoins spéciaux, la garde et l’éducation des enfants ne sont habituellement pas intégrées ni considérées comme faisant partie d’une suite, on exige des personnes affectées à la garde et à l’éducation des enfants des compétences et des aptitudes très différentes et on constate l’absence d’accessibilité équitable dans les différentes régions du pays.

Pour que le Canada s’épanouisse – économiquement et socialement – surtout dans une économie de plus en plus axée sur le savoir, nous devons réévaluer la manière dont nous abordons les services à la petite enfance.

La Société canadienne de pédiatrie recommande au gouvernement fédéral d’évaluer, en étroite collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux, les programmes et politiques relatifs à l’éducation et à la garde de la petite enfance et notamment les dispositions fiscales, afin de déterminer le moyen de les optimiser de manière à répondre à nos besoins actuels et futurs, en matière sociale et économique, comme première étape pour la mise en place d’une stratégie nationale plus globale qui, entre autres choses, instaurerait des normes, un accès et une qualité uniformes à la grandeur du pays. 

Nous recommandons également d’augmenter les sommes consacrées à la garde et à l’éducation de la petite enfance au moins à hauteur de 0,4 % du PIB, comme l’indique l’OCDE, et de faire en sorte que tous les paiements de transfert fédéraux réservés pour ces dépenses soient utilisés par les gouvernements provinciaux et territoriaux à la réalisation de ces programmes.

La surveillance et l’évaluation feront partie du processus qui permettra de comprendre les déterminants d’un sain développement des enfants, de stimuler le dialogue et d’améliorer la résolution de problèmes, d’éclairer la politique et d’examiner l’efficacité des interventions des différents gouvernements au Canada.

C’est pourquoi nous recommandons que tous les gouvernements mettent en place un solide système de surveillance, soutiennent l’analyse des données et collaborent entre eux à la recherche de solutions dans le but d’améliorer la santé et le bien-être des jeunes enfants.



[i]       Adamson, Peter, La transition en cours dans la garde et l’éducation de l’enfant – Tableau de classement des services de garde et d’éducation des jeunes enfants dans les pays économiquement avancés, UNICEF, Bilan Innocenti 8, 2008.

[ii]      Mustard, J. Fraser Développement du cerveau influencé par les expériences, Diaporama, Centre d’excellence pour le développement des jeunes enfants, Québec, 25 mai 2004.

[iii]     Adamson (2008).

[iv]     Mary Jo Haddad, Children’s Health Care: What’s Next, mai 2005, p. 7, cité dans un document de K. Kellie Leitch, Vers de nouveaux sommets – Rapport de la conseillère en santé des enfants et des jeunes. Ministre de la Santé, 2008.

[v]      Adamson (2008).

[vi]     Canadian Broadcasting Corporation (CBC), Your Child-Care Report, 23 février 2009.

[vii]    Éducation et garde des jeunes enfants : Prochaines étapes; Rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, avril 2009.

[viii]   Bennett, John; Early Childhood Services in the OECD Countries: Review of the Literature & Current Policy in the Early Childhood Field, Document de travail Innocenti de l’UNICEF, août 2008.